Investissements Tech : de la chasse à la licorne à l’élevage de purs-sangs
Les start-up à haut potentiel et ultra-valorisées captent l’attention des investisseurs de la tech. Ceux-ci oublient parfois toutes ces jeunes pousses moins médiatiques, mais au modèle économique clair, au chiffre d’affaires établi et au fort potentiel de croissance. Ce sont pourtant ces entreprises qui, si elles étaient accompagnées, pourraient former à terme un véritable écosystème numérique en Europe, écrivent les auteurs.
La passion de la chasse à la licorne, populaire aux Etats-Unis depuis quelques années, a gagné la France. Avec de vraies réussites à la clé comme Doctolib, ManoMano ou tout récemment ContentSquare. Cette activité à haut potentiel est également à haut risque, avec beaucoup d’appelés et peu d’élus. Elle ne peut donc pas focaliser toute l’attention ni monopoliser les financements tech, car elle ne permettra pas à elle seule la création d’une véritable écurie de champions digitaux français et européens. Cette dernière peut passer par d’autres voies, plus proches de l’élevage de pur-sang que de la chasse à la licorne.
Le milliard de valorisation est un chiffre magique qui fait rêver. C’est un levier puissant qui frappe l’imaginaire et a eu le mérite ces dernières années de créer une émulation autour de l’écosystème tech, de susciter des vocations d’entrepreneurs et de mobiliser les pouvoirs publics sur les sujets liés au financement de l’innovation et au développement des entreprises tech.
Mais la chasse à la licorne est un modèle qui comporte de vrais risques et ne peut être l’alpha et l’oméga de l’écosystème tech. Le milliard de valorisation peut parfois masquer un chiffre d’affaires limité, des pertes importantes et une rentabilité future incertaine. Le financement de licornes nécessite une réelle conviction dans l’émergence de futurs géants rentables, à la valorisation volatile. Bref, la licorne a vocation à rester l’exception plutôt que la règle. Et c’est très bien ainsi ! Car il existe une autre catégorie d’entreprises digitales, tout aussi prometteuses en termes de potentiel de chiffre d’affaires et de leadership, ayant l’avantage d’être moins risquées, moins consommatrices de cash et d’avoir une rentabilité démontrée ou démontrable. On pourrait appeler ces entreprises les « pur-sang » de la tech.
Sous le radar
Ces pur-sang de la tech ont une offre pertinente et monétisable, un modèle économique clair, un chiffre d’affaires déjà établi et un fort potentiel de croissance. Ils sont généralement autofinancés ou peu financés. Ils ont besoin de fonds propres pour grandir, non pour survivre, avec des financements ciblés pour accélérer leur développement : augmentation de la croissance organique, investissement en R & D, financement du BFR, élargissement de l’offre, croissance externe, institutionnalisation, internationalisation.
Ces pur-sang sont souvent « sous le radar », se concentrant sur leur développement davantage que sur leur communication. Et ils sont nombreux – bien plus nombreux que l’on ne pense en France et en Europe -, notamment dans les domaines de l’informatique (logiciel en particulier), de la cybersécurité, de l’e-commerce et de l’IoT.
La France et l’Europe doivent nourrir l’ambition de faire grandir ce haras si elles veulent jouer un rôle majeur dans la digitalisation accélérée de l’économie, en développant un véritable « Mittelstand digital européen », c’est-à-dire un tissu économique fort de PME digitales. L’objectif est de faire éclore une couche solide d’ETI digitales compétitives. Cette couche d’entreprises intermédiaires constitue un maillon essentiel d’un écosystème tech dynamique. Ce maillon est encore trop faible en France et en Europe, mais il est fort d’un vivier important d’entreprises prometteuses.
Growth tech
Si la chasse à la licorne nécessite des fonds d’investissement capables de financer avec de très gros tickets une croissance risquée fortement consommatrice de cash, l’élevage de pur-sang implique quant à lui des fonds de « growth tech », véritables partenaires qui aideront les entrepreneurs à franchir des seuils de taille, à optimiser l’organisation, à améliorer l’offre et à réussir l’international.
Le développement d’un « Mittelstand digital », par l’élevage de PME digitales à fort potentiel, est stratégique pour la France. Encore faut-il qu’il existe suffisamment de fonds d’investissement dédiés au soutien et au développement des entreprises, trop « late stage » pour les investisseurs en capital-risque et pas assez matures pour les fonds généralistes.
C’est l’un des enjeux du rapport Tibi qui dressait le constat d’une insuffisante capacité de financement des entreprises technologiques en France au moment de leur accélération industrielle et commerciale, notamment pour leur permettre de s’internationaliser ou de s’institutionnaliser. Les recommandations aboutissent actuellement au financement par les institutionnels français de fonds d’investissement d’envergure, capables d’accélérer la croissance d’entreprises innovantes et d’en faire des leaders régionaux ou mondiaux.
Parmi ces fonds, il est légitime que certains ciblent les futures licornes et pratiquent leur chasse, mais la filière numérique française doit également inclure des fonds spécialisés dans l’élevage de pur-sang. Cette combinaison maximisera les chances de la France et de l’Europe de bénéficier d’un secteur de la tech compétitif au niveau mondial.
Laurent Bénard, Directeur Général de CAPZA et Henri de Bodinat, Managing Partner de Time for Growth.
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